Dis Doule, il paraît que tu as rencontré des petites bêtes ?
Oui, sacrée expérience !
J'étais à l'intérieur en train de préparer à manger, 1h après avoir décidé de se dérouter.
Je m'apprêtais à faire un petit film sur la manière de s'alimenter à bord... Quand j'entends du bruit dans les safrans.
Je sors immédiatement et au loin, je vois ces gros ailerons... pas des dauphins, des orques !
Ils reviennent... et touchent mes safrans, ils poussent, avec leur nez... De plus en plus fort !
Le composite commence à cracouiller, faut virer le pilote.
D'une main, je prends la barre et amortis les coups qu'ils donnent, pas très efficace.
De l'autre, j'ouvre le bloqueur de drisse de Solent.
Puis je choque l'écoute de GV ... il y a déjà moins de charge dans le bateau !
De l'autre main toujours, je prends la VHF et signale ma position, et ce qui m'arrive.
Calmement, de toute façon, personne n'y peut rien, même moi :
"Stinkfoot,Stinkfoot, Stinkfoot à tous les Minis, signale attaque d'orques position 42'21N par 9'06"W... sur le 77, puis sur le 16.
Il est environ 15h.
Le bateau accompagnateur, Eglantine, me dit, "on est sur toi dans une heure"....
Ca ne change pas grand chose à mon problème.
D'ici une heure, à ce rythme, je n'aurai plus de tableau arrière.
Merde ! Ce matin en tête de la flotte… on se déroute et je fais attaquer par ces orques !
Je m'énerve, je les insulte, car je suis désemparé.
Je leur jette mon casse-croûte : une boite de sardine à l'huile et du pain de mie. Rien à faire, ils n'ont pas faim.
Je peux pas rester ainsi coincé à la barre, ballotté par leur bon vouloir.
Je vais affaler la GV.
La VHF cause, mais je peux pas y répondre, ils sont revenus.
Affaler sur un bateau qui fait des 360°, sans crier gare, c'est pas facile.
Le bateau tourne, prend des coups, de la gite, soudainement. C'est pas comme des vagues, auxquelles on peut s'attendre. Il faut surtout pas tomber, il faut s'accrocher.
A bord, même le bateau éventré, je flotterai toujours. Qui sait ce qui peut se passer si je tombe à l'eau ? Le gilet est pas loin, tant mieux.
Ils tapent toujours dans les safrans... c'est la couleur jaune qui les attirent ?
Tout affalé, il y a beaucoup moins d'effort ! Même s'ils sont beaucoup plus lourds que moi et plus grands que le bateau, d'au moins 1m !
Est-ce l’électronique ? Les ondes qui les énervent ? Je coupe le général... Silence radio.
Ils sont encore là... et semblent s’énerver de ne plus rencontrer de résistance, ils calent leurs museaux sur mon safran tribord et "palment".
Quelle puissance ! Je fais deux tours sur moi même. J'ai l'impression d'être un ballon au bout du nez d'une otarie.
Les safrans sont toujours sollicités... ça craque encore de partout.
Qu'est ce qui va casser ?
Je vais déconnecter le pilote et le capteur d'angle de barre, si jamais les butées textiles venaient à casser (c'est un tout petit dynema de 2 ou 3)...
Ma barre de liaison casse.
Le safran tribord, est libre,
Le palonnier martèle le tableau AR, mais je ne peux plus l'utiliser...
J'ai qu'une barre de liaison de secours et un jeu de rotule.
J'ai une barre de secours, heureusement, qui me permettra de rentrer au port tant que le palonnier existe.
Seulement, je n'aurai plus de pilote.
Je vais essayer de sauver l'autre barre de liaison
Je vais la démonter... du coté barre, ça va, c'est facile.
J'ai collé l'écrou, il suffit d'une clé Allen de 6, qui elle, bien sur, est matossée, au fond d'un sac…et d'une clé de 13. Heureusement, que je connais mon canot par cœur !
Ça y est la barre de liaison est libre côté barre.
Il faut la libérer côté palonnier babord...
J'avais pas pensé... mes doigts sont à 20cm du museau de ces bestioles.
Je veux pas défaire l'autre vis... c'est trop près.
Coup de museau, la clé de 13 tombe à l'eau !
J'ai aussi une clé à molette, mais j'ose plus mettre les doigts…
J'amarre vite fait la deuxième barre de liaison.
Trop serré, ça plie la rotule, mais je sais que la barre ne prendra pas plus.
La rotule, c'est pas grave, j'en ai une paire encore...
L'orque qui, jusque là, s'occupait de mon safran tribord tambourine maintenant sur le fond de coque... Là, aussi ça croustille.
Les safrans sont maintenant libres,
Le bateau sans voile ni direction, dérive mollement dans l'axe du vent...
Encore un ou deux 360, mais sans conviction.
L'autre tambourine encore, comme s'il était vexé que "le jouet" soit cassé.
Je rallume le coupe circuit... Merde j'avais zappé la VHF. Ils ont du flipper !
Échange avec Eglantine, le bateau accompagnateur :
"Oui, ils sont toujours là mais plus calmes"
"Ah tu me vois ? bien sûr, j'ai pas trop regardé à l'extérieur… Moi ça va, le système de barre, moins bien".
Pour l'instant, j'ai de quoi réparer, oui. J'ai pas fait le tour approfondi, mais je fait pas d'eau. Et à première vue, j'ai les pièces pour réparer.
Elles s'éloignent...
Était-ce parce que le bateau n'opposait plus de résistance, dérivant comme un pantin désarticulé, safrans en drapeaux ?
La baballe est crévée... Il y en a d'autres des baballes.
Il y a Basile pas loin. Julie, elle a viré, je crois.
Eglantine arrive pleine balle GV appui moteur, je crois.
Elles ne sont plus là... Que faire ?
Souffler déjà… Petite clope, pour se calmer. Hiérarchiser...
Quelle heure est-il ? 15H45... Vache ! ça a duré presque une heure !
Inventaire extérieur :
- Palonniers tordus, mais fonctionnels,
- Barre de liaison tribord cassée,
- Une des rotules babord tordue,
- palier supérieur tribord enfoncé dans le tableau.
Inventaire intérieur :
- peau intérieur du tableau arrière fissurée,
- léger points de délaminages sur les longis, sous le radeau…
Bon, je m'en sors bien. J'ai de quoi rallier un port. J'ai de quoi changer les pièces mécaniques. Il y a du jeu, mais au moins, je peux reprendre ma route, remettre le pilote.
Il me faudra strater la peau intérieure, au moins. Peut être la peau extérieur.
J'avertis les concurrents, le bateau-accompagnateur :
"Salut c'est Stinkfoot, Je reprends ma route, j'ai à peu près tout pour réparer, je peux rejoindre le port par mes propres moyens."
Ouf, dans mon malheur, je suis content, mes caisses à outils étaient bien préparées.
On se déroute vers Baiona, c'est majoritairement du tribord pour y aller.
Les autres parlent d'orques à la VHF, Basile les voit.
Silence de mort.
Je lui transmets sur mon expérience :
"
En 1 - COUPER le pilote
En 2 - AFFALER (moins d’effort dans le bateau)
En 3 - déconnecter le système de barre, en partant du plus fragile (capteurs) vers le plus solide
En 4 - mettre le bateau en fuite, à la dérive, plus il sera inerte, plus vite les orques partiront
"
Je saurai plus tard qu'ils ont été secouer le safran d'Eglantine... Les dégâts sur un bateau lourd sont bien plus importants.
Face à ces mammifères, la légèreté semble être un avantage, car dès qu'on affale, on n'est plus qu'un ballon à la surface de l'eau...
Bilan en chiffres :
15-16h de composite
6-8h de mécanique,
3h de telephone et logistique
1500€ de pièces
un peu de stress
une semaine prochaine bien chargée
…